La saga du Savon à Salon de Provence

Durant quelques décennies, entre 1870 et 1930, Salon de Provence vécut une période extraordinairement florissante grâce au négoce des huiles et du savon, avant une brutale retombée. Une saga un peu oubliée par le Salon d’aujourd’hui. 


Retour sur un temps qui laissa à la ville un important patrimoine architectural et un savoir-faire toujours exploité par deux vaillantes savonneries rescapées de cette belle époque, Marius Fabre et Rampal Latour.


Le savon de la prospérité

C’est sa tradition huilière qui permit à Salon son décollage économique et particulièrement sa conversion au savon de Marseille.

Depuis longtemps tournée vers l’olive, Salon prend dans la roue de Marseille le virage du savon, durant la deuxième partie du XIXe. Car rappelons-le le fameux savon de Marseille se fabrique avec de l’huile végétale, d’olive le plus souvent… Plusieurs facteurs conjugués permettent une envolée économique inattendue qui fait passer Salon du statut de bourg rural, gros marché au carrefour de plusieurs axes, à celui de ville de commerce à l’activité intense et diablement enrichissante pour certains, fabricants, entrepreneurs ou négociants, explique Magali Allègre, présidente des Amis du Patrimoine de Salon et de la Crau..


1870, un gel d’envergure massacre les plantations d’oliviers de toute la Provence. Seules sont épargnées par la catastrophe climatique les régions de Marseille, Berre et les Alpilles qui du coup intensifient leur production, en la mécanisant progressivement.


1871 : depuis Avignon la ligne de chemin de fer P.L.M. atteint Salon et se prolongera deux ans plus tard vers Miramas, rapprochant Marseille, port superactif, gros importateur d’oléagineux coloniaux. Salon se dote d’une gare, cruciale pour le flux commercial. Bientôt plus d’une centaine de manutentionnaires y seront occupés au chargement-déchargement de matières premières venues des tropiques et de produits finis à destination des cinq continents.

Savon de Marseille estampillé

Ferblanterie à Salon de Provence

Savonnerie Lurian, 1900, Salon de Provence

Personnel de la Savonnerie Lurian à Salon de Provence, 1900

Un puissant essor

Avec les progrès de la chimie et les récentes techniques d’outillage, les conditions sont réunies pour que se développent les fabriques huilières et savonnières mais aussi d’autres industries et pléthore d’officines de négoce. C’est à l’ambition de toute une génération de négociants que la petite ville doit sa magnifique embellie, poursuit Magali Allègre. Parallèlement, huileries et savonneries entraînent la création de nombreuses manufactures connexes qui contribuent à la richesse de la cité. Bien sûr, le savon a sa part dans les riches heures de Salon, renchérit notre fine connaisseuse du passé. Mais il faut se garder d’oublier les caisseries, généralement adossées aux scieries (tels les établissements Lèbre toujours en activité avenue de l’Europe), les ferblanteries produisant les bidons ou « estagnons » nécessaires à l’expédition de l’huile (Vinatié par exemple), les tonnelleries dont on affectaient les fûts au transport maritime, les fabriques enfin où l’on recouvrait d’osier bonbonnes et tonneaux. » Ainsi s’activait Salon, attentive à la qualité de sa production, ravie de la fortune et de la renommée qui, récompenses méritées, ne tardent pas à arriver. De l’Exposition universelle de Paris en 1900, elle rapporte une médaille d’or pour la « qualité de ses exportations et le dynamisme de son commerce ».



Nantis et notables

« Cette bourgeoisie commerçante ne se contentera d’ailleurs pas du succès économique, ajoute Magali en souriant. Négociants et savonniers ne tarderont pas à devenir les édiles de leur ville, prenant en main les affaires et les destinées de la cité et ce, pour des décennies ! » Se succèderont dans le fauteuil de premier magistrat Alphonse Deiss, Joseph Barielle, Alfred Anastay, Eugène Blayac, Baptistin Garcin, Auguste Girard puis plus tard Jean Francou, maire de Salon pendant trente ans. Ceux qui n’atteignirent ni ne prétendirent à cette charge ne furent pourtant pas en reste sur le rayonnement de la cité à travers des « cercles » intellectuels ou artistiques qui fleurissent à Salon comme dans les autres villes au commerce opulent.



Fin d’un monde

Las, prospérité n’est pas synonyme de pérennité. A ces industries la guerre vient porter un premier et brutal coup d’arrêt, compromettant approvisionnement, fonctionnement des usines et exportations, alors qu’en matière de savonnerie point la concurrence étrangère. La crise de 29 enfonce le clou. Le déclin se confirme, une page se referme doucement, que le second conflit mondial et le débarquement des détergents américains contribueront à tourner. Dans le silence. Car de ce drame économique et fatalement humain Salon n’a guère gardé traces ni mémoire. On ne sait rien par exemple du destin de tout le personnel féminin de ces industries, pourtant important, déplore Magali Allègre. D’ailleurs dès 1933, aussi traumatisée qu’avisée, la ville signe avec le ministère des Armées une convention en vue de la création d’une école de l’Air. Laquelle installée en ville quatre ans plus tard sut apporter aux Salonais une manne de revenus et d’activités stable et constante. Sans parler du prestige de la Patrouille de France, dont les exploits, et l’on ne l’en blâme pas, ont su occulter la douloureuse déchéance de la cité savonnière.


Scroll To Top